Olga Tokarczuk, prix Nobel de littérature 2018, à Paris

Lors des rencontres parisiennes, devant les salles combles, au théâtre de l’Odéon et en Sorbonne, l’écrivaine polonaise a évoqué la situation politique dans son pays, la place de la littérature dans le monde d’aujourd’hui et les spécificités culturelles de l’Europe centrale : Je pressens qu’il nous faut, désormais, rétrécir et intensifier notre présence dans le lieu dont nous sommes responsables. Une littérature et un art nouveau vont peut-être naître d’un tel contexte. Mais ce n’est pas de moi qu’ils viendront.

Olga Tokarczuk, la plus talentueuse romancière polonaise d’aujourd’hui, est récompensée pour « son imagination narrative qui, avec une passion encyclopédique, symbolise le dépassement des frontières comme forme de vie » (le jury de l’Académie suédoise). Son dernier roman, Les Livres de Jakób, (éd. Noir sur Blanc, 2019) est unanimement salué par la critique et les lecteurs.

(Voir plus bas les liens à la transmission en ligne de l’Odéon et le programme de la Sorbonne)

Extraits des propos recueillis par Nicolas Weill, Olga Tokarczuk, Prix Nobel de littérature 2018 : « Le roman englobe toutes les expériences », interview paru au Monde du 29/11/2019

Quand on examine la littérature ­centreuropéenne – ce terme me tient à cœur –, on est frappé d’y voir le monde représenté comme une réalité mouvante, aux frontières floues, instables. Du fait de notre histoire compliquée, tout peut changer, tout peut arriver. La ­limite entre le réel et l’imaginaire ne se dessine pas aussi nettement qu’il y paraît. Le grotesque, l’ironie ou la poésie nous paraissent plus appropriés pour peindre le monde que le roman réaliste. Czeslaw Milosz [1911-2004, poète, Prix Nobel de littérature 1980] a, à ce sujet, une phrase terrible en affirmant qu’un seul vers vaut des milliers de pages en prose. Un propos qui a le don de m’agacer prodigieusement !

La narration linéaire et classique m’a toujours rendue méfiante. Pour moi, elle ne permet pas d’accéder au vrai. Je recours à l’écriture fragmentaire depuis Maison de jour, maison de nuit [Robert Laffont, 2001] qui, effectivement, se ­présente comme une mosaïque, un ­patchwork. Mais c’est seulement dans Les Pérégrins [Noir sur blanc, 2010] que j’ai approfondi ma réflexion sur ce mode d’écriture. Le roman moderne exige un récit qui corresponde à notre expérience d’un monde morcelé, zébré, où l’on zappe…

Comment, à partir de cette réalité éclatée, retrouver un sens unique ? A travers ce que je nomme « roman-constellation », à l’image d’un homme regardant le ciel étoilé depuis sa terrasse. Nous voyons un chaos d’étoiles disposées à l’aventure, tandis que notre intel­ligence s’efforce, elle, d’y percevoir des ensembles, des structures dotées de sens auxquelles on associe même une ­mythologie.

Je recours à l’écriture fragmentaire depuis Maison de jour, maison de nuit [Robert Laffont, 2001] qui, effectivement, se ­présente comme une mosaïque, un ­patchwork. Mais c’est seulement dans Les Pérégrins [Noir sur blanc, 2010] que j’ai approfondi ma réflexion sur ce mode d’écriture. Le roman moderne exige un récit qui corresponde à notre expérience d’un monde morcelé, zébré, où l’on zappe…

Dans la littérature mondiale, les femmes apparaissent beaucoup, mais cantonnées à leur rôle social, assujetties à des forces qui les dominent. J’essaie, moi, de multiplier les personnages de femmes fortes. … On trouve aussi, dans Les Livres de Jakob [Noir sur blanc, 2018], le personnage de Gitla Rapaport [la fille du secrétaire du rabbin de Lwow qui devient princesse ­polonaise]. Elle relève des défis philosophiques et contribue à cette enquête à laquelle le philosophe Emmanuel Kant a répondu par son fameux texte de 1784, Qu’est-ce que les Lumières ?

REPÈRES

1962 Olga Tokarczuk naît à Sulechow (Pologne). Elle étudie dans une école ­alternative inspirée par les ­méthodes du pédagogue ­danois Nicolaï Grundvigt.

1980 Etudes de psychologie à l’université de Varsovie, en pleine révolte de Solidarité. Psychothérapeute.

1997 Après avoir publié ­quatre livres, dont deux ­romans, elle se consacre ­exclusivement à la littérature.

2017 Adaptation de son ­roman Sur les ossements des morts (Noir sur blanc, 2012) par la cinéaste Agnieszka ­Holland.

2018 International Man ­Booker Prize pour Les ­Pérégrins (Noir sur blanc, 2010).

2019 Prix Nobel de littérature.

https://www.lemonde.fr/livres/article/2019/11/28/olga-tokarczuk-le-roman-englobe-toutes-les-experiences_6020927_3260.html

Le programme : Prix Nobel Olga Tokarczuk en Sorbonne

La vidéo de la rencontre à l’Odéon par Anna Pujdak https://www.facebook.com/anna.m.pujdak

Photos : Olga Tokarczuk lors de la signature de ses livres au théâtre de l’Odéon et à la Sorbonne (©Joanna Lasserre)